L’histoire de la langue corse

Les spécialistes ne s’accordent pas encore sur ses origines. Mais pour quelles raisons ?

Le corse est une langue riche et mélodieuse, or jusqu’au milieu du 19ème siècle elle n’était ni écrite ni étudiée. L’opinion générale la plus couramment défendue en Corse est que cette langue serait issue du proto-corse. Celui-ci se serait développé à partir du latin, au cours de la colonisation romaine. En conséquence le corse serait une langue romane autonome, elle n’aurait été que postérieurement influencée par l’italien. En effet, elle n’est pas un « simple » dialecte italien comme l’ont prétendu les gouvernements français jusqu’en 1960. Cette distinction est très importante pour les Corse car considérer le corse comme une langue romane autonome peut permettre à leur langue d’être une langue minoritaire, et cela n’est pas possible pour un dialecte. Consécration en 1974, le corse est enfin reconnu officiellement comme une langue régionale et son enseignement dans les écoles est autorisé.

Un dicton souvent cité en Corse : Persa a lingua, persu u populu (Perdue la langue, perdu le peuple…). Depuis toujours la langue est marque d’une nation forte et consciente de sa propre valeur. Aujourd’hui encore elle joue un rôle essentiel pour l’identité culturelle des Corses. 

Le Chant corse de nos jours

Traditionnellement, le chant corse se transmet uniquement par la voie orale : chant – écoute/apprentissage –reproduction/chant en groupe. Il n’existe pratiquement pas d’écris : partitions ou transcriptions musicales et très peu de textes. Le « postulant » doit d’abord écouter de nombreuses fois, puis s’exercer tout seul avant d’être intégré au groupe.

Cependant, la tradition des chants est très fragile et risque de disparaître. En effet, suite de la dépopulation de l’île (30 000 Corses tombés à la Première Guerre mondiale, puis émigration massive vers le continent français du fait du manque de travail après la Deuxième Guerre …), les structures sociales et villageoises ont commencé à disparaître, et avec elles les circonstances des chants. Or le chant possède un rôle et une fonction sociale importante : chants de travail, improvisations, plaintes funèbres, etc.

Un sauver : Félix QUILICI. Après la Seconde Guerre Mondiale, le patrimoine chanté de la Corse aurait disparu si cet homme n’avait pas fait le tour de l’île en demandant aux anciens qui se souvenaient de chanter tout en les enregistrant avec un magnétophone – et cela à une époque où toute manifestation de « corsitude » était décriée et considérée comme dépassée et « paysanne ». Aujourd’hui les enregistrements sonores de Quilici se trouvent à la Phonothèque de Corte. 

La classification principale des chants anciens est très simple. En effet, il n’y a que deux groupes : les chants d’hommes et les chants de femmes. Une séparation très nette et sans exception. L’évolution musicale des dernières 40 années avec l’émancipation de la femme corse et son nouveau rôle dans le chant amènera peut-être avec elle des changements.

La complainte funèbre

Il y a deux formes de complaintes: les lamenti, chantés à l’occasion des décès naturels et les voceri, chantés après des morts violentes, souvent liés à la vendetta.

Le voceru même se déroulait en deux parties : 
Gridu: la lamentation à grands cris  
Scirata: le chœur des femmes avec une voceratrice qui donne le ton et, aussi, plutôt rarement, le caracolu (danse macabre).  
A noter : Au 16ème  siècle l’Église a interdit la scirata et surtout le caracolu. Mais les complaintes ont continué d’être chantées jusqu’au milieu du 20ème siècle, tandis que la tradition du caracolu s’éteignait avant.  

La première partie, Gridu, était entonnée dès que quelqu’un était décédé. Le défunt était exposé sur une grande table (tola) dans sa chambre. À l’arrivée de chaque membre de la famille ou allié, les lamentations recommençaient. Si c’était des femmes qui arrivaient, elles rejoignaient le chœur de femmes dans la chambre du défunt, où elles chantaient ensemble.   

La deuxième partie, Scirata, avait lieu le jour de l’enterrement. Ce jour-là, le corps du défunt était couché dans le cercueil qui était exposé publiquement devant la maison. Le matin, les femmes, vêtues de noir, arrivaient des villages voisins pour former le chœur avec la voceratrice. Parfois, pour accompagner les Complaintes funèbres, on dansait autour du défunt ; une danse macabre très particulière appelée le caracolu, avec des hurlements et gestes violents. 

Contenu des lamenti:
Il y a des descriptions du salut éternel qui attendait le défunt dans l’autre monde ; des affirmations de l’amour envers lui ; des complaintes sur la perte ressentie par sa famille et des éloges de ses vertus.    

Contenu des voceri:
Reproduction de la genèse du meurtre ; affirmation de l’importance de la perte et de l’amour pour le défunt ; appel à la vendetta à l’adresse des hommes présents avec des injures et menaces envers les adversaires et la présentation de la vengeance

Il est difficile de distinguer les lamenti et les voceri, hormis les différences de contenu. Mais on peut prendre comme point de départ que, chez le voceru, il s’agit toujours d’une complainte funèbre alors que le lamentu n’est pas forcément lié à la mort.

Voceru di Ghjuvan Cameddu

Quel tonu tremente è forti
da per tuttu ascoltu assai  
quellu chì annuncia la morti 
di Cameddu Nicolai 
quellu banditu d’anori 
o Corsica più non ai 

In la casa di la Testa                    
c’era matrimoniu è ballu               
ch’ella li ghiunghji la pesta            
cù li sproni da cavallu          
è po subarcalli tutti  
quel ch’anu cummissu il fallu

Nun si hè mai vistu al mondu                
né lettera nella scrittura              
chì à l’omu furibondu                    
la donna faccia paura                   
di tiralli di pistola                    
contro la madre natura      

Fusti traditori di Cristu
più di Ghjuda sè ribeddu
per un miserabile acquistu
tradisti à Ghjuvan Cameddu
 -tirati il collu à la corda-
hè il sicondu to frateddu

O Camè lu me frateddu
o Camè lu me cuginu
quale hè statu l’assassinu
chì t’hà puertatu à lu maceddu
per fani subire à teni
questu barbaru fraceddu?

Sonu in dolu li fiori d’i prati
più nun canta l’oguriu acellu
dicenu ch’anu ammazzatu
l’eroe Ghjuvan Cameddu 
eu lu bagnu cù il mio piantu
ma nun credu chì sia ellu
       

Je l’entends partout résonner, 
ce coup de tonnerre terrible et fort 
qui annonçait la mort 
de Ghjuvan Cameddu Nicolai,
ce fameux bandit d’honneur, 
ô Corse, tu l’as perdu!

Dans la maison de A Testa
 il y avait mariage et bal.
Que la peste y arrive aussi
 à cheval et chaussant éperons
et qu’elle les extermine tous,
ceux qui ont commis cette faute! 

Personne n’a jamais vu 
ni lu pareille chose
qu’une femme puisse faire tellement peur
à un homme en colère
qu’il tire un coup de pistolet
contre une femme 

Tu fus traître au Christ
 plus que Judas lui-même 
toi qui pour un misérable achat
 as trahi Ghjuvan Cammeddu 
– pends-toi à une corde – 
et ton frère périra en second 

O Camè, mon frère, 
ô Camè, mon cousin 
qui a été ton assassin, 
qui t’a livré au bourreau 
pour te faire subir 
ce barbare massacre? 

Les fleurs des prés sont en deuil, 
les oiseaux même ne chantent plus 
tous disent qu’on a tué 
Ghjuvan Cameddu, ce héros 
je suis toute en pleurs 
et je ne peux toujours pas y croire